En associant archives militantes et pratiques artistiques, l’exposition Essayer encore, rater encore, rater mieux est l’occasion de s’interroger sur les liens sensibles et conceptuels entre art et activisme. Elle permet également de reconsidérer l’actualité de luttes passées.

Pour faire face à l’inertie et au conformisme d’institutions dans lesquelles différents mouvements indépendants ne se reconnaissent pas, de nombreuses initiatives s’organisent à Genève, afin de construire et d’expérimenter de nouvelles formes de luttes et d’alternatives. Des années 60 jusqu’à la fin des années 80, dans un contexte souvent tendu entre les autorités d’une part, et les milieux artistiques et militants d’autre part, une pléthore d’actions voient le jour. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) genevois propose des cours de self-help offrant aux femmes la possibilité d’examiner elles-mêmes leur corps et d’échapper ainsi au patriarcat ; des lieux d’expositions autogérés (Galerie Aurora, les messageries associées), précurseurs des artists-run spaces, apparaissent sans le soutien des musées officiels ; des mobilisations pour un centre autonome entendent prendre le contrôle d’une institution existante.

De l’occupation de la Maison des jeunes de Saint-Gervais par la troupe de théâtre les Tréteaux libres à la grève déclenchée au Musée Rath en 1980 par l’association d’artistes A26n, en passant par les luttes d’État d’urgences et de l’Usine, la mésentente avec les autorités est manifeste. Dans ce contexte, des zones de sensibilités communes émergent entre pratiques de l’art et activismes. Évoquant les formats employés par l’avant-garde conceptuelle, des cartes teintées d’humour caustique sont diffusées par les milieux militants pour lutter contre le viol, tandis que le groupe Studios Lolos contribue au mensuel de contre-information Tout va bien. La liste est encore longue tant l’effervescence de ce que l’on nommera bientôt en suisse les « années 68 » provoque l’éclosion de nombreuses pratiques radicales, transversales et novatrices.

Dans le cadre de l’exposition, Rosa Brux et les Archives contestataires s’unissent pour agencer les relations complexes qui relient des documents produits par des actions militantes et des pièces issues de processus artistiques. L’exposition désire ainsi prolonger les perspectives de transversalité initiées par les mouvements des « années 68 ». À rebours d’un best-of  des postures artistiques qui constituerait en quelque sorte une approche anthologique de l’art de cette période, l’exposition prend le parti pris de privilégier des formations artistiques dont la particularité est d’avoir entretenu un lien avec les milieux contestataires. Les sources iconographiques et documentaires présentées au commun exhument quant à elles des aspects refoulés, négligés ou simplement oubliés de l’histoire contestataire. La richesse de ces ressources conservées par des militant·e·s dans un fonds d’archives associatif (les archives contestataires) continue de nous surprendre tant par la densité que par la qualité de la réflexion qu’elles soulèvent, en créant des résonances avec les problématiques actuelles qui vont au-delà du contexte local genevois.

Si les pratiques artistiques des « années 68 » se proposaient d’utiliser la critique comme instrument d’une prise de conscience dans une perspective d’émancipation, comment peut-on rendre cette approche encore effective de nos jours, lorsque la critique du système est devenue un élément du système lui-même ? Qu’entendons-nous par « art politique » ? Si l’art a souvent été discrédité comme fatalement condamné à l’inefficacité, des pratiques récentes persistent malgré tout à rendre cet « agir politique » encore possible lorsqu’elles déplacent dans le pré-carré de l’art des dossiers propres aux luttes sur les conditions de travail, aux queer studies ou l’histoire des contestations ; en en pointant la permanente redéfinition.

Inspiré d’une pensée célèbre de Samuel Beckett, le titre de l’exposition indique une volonté de rompre avec les catégories d’échecs et de succès trop souvent en jeu lorsqu’il s’agit d’évaluer les mouvements contestataires. Ce titre rend aussi hommage aux aléas de l’activité militante et aux micro-résistances de chaque jour qui œuvrent parfois à l’ombre d’actions collectives plus éclatantes. Comme l’affirmait en substance la militante Rosa Luxembourg, une révolution n’arrive jamais à temps, mais elle naît au travers de nombreuses tentatives prématurées qui constituent les conditions indispensables de la voir un jour à nouveau surgir.

Dans le prolongement de l’exposition, Rosa Brux collabore avec le Cinéma Spoutnik pour présenter une série de documents en relation avec les années 68 à Genève. En associant film de fiction, film documentaire, film interdit et film d’artiste, cette anthologie propose de saisir les préoccupations d’une époque et de reconsidérer les luttes de la contestation genevoise.