Les Tréteaux libres

L’histoire des Tréteaux libres débute à Genève avec celle du théâtre indépendant. Quelques jeunes parmi lesquel·le·s Bernard Heymann, Sylviane Fioramonti, Jean-Marc Bassoli, Jean Giuitta, Patrick Hannais et Annie Roussel décident de former en 1968 une troupe de théâtre itinérante, « libre de dire non à la guerre, aux conventions, libres de cultiver une fraternité créatrice ».

Sous l’invocation d’Artaud et dans le sillage du Living Theatre, les représentations des Tréteaux libres font fusionner la salle et la scène. Ici, le théâtre n’est plus seulement vu et écouté, mais vécu par un public physiquement pris au jeu. Certain·e spectateur·rice s’adonnent sans limite à cette ivresse communautaire, quand d’autres la rejettent violemment, percevant dans leur goût pour la provocation une forme de fascisme : « comment demeurer en dehors lorsque quelques acteurs, descendus dans le public, se jettent sur vous, s’agrippent à votre cou en hurlant leur terreur ou leur angoisse avec des yeux de fous ? ». Car la réalité insufflée par les Tréteaux libres déborde tout ce qu’aurait pu en dire un théâtre fondé sur le texte. Acteur·rices et spectateur·rices se trouvent confronté·e·s, directement, et quasi physiquement, à la réalité brute. Une insurrection des corps qui mêle à la fois le rite, le happening, le psychodrame.

Mais c’est aussi dans l’agitprop que la singularité des Tréteaux libres trouve sa pleine expression. Notamment, lorsqu’ils portent leur théâtre dans les rues genevoises pour y revendiquer le droit d’exister face aux institutions culturelles bien établies. En avril 1971, la troupe squatte un Temple désaffecté du quartier de la Servette pour y présenter son répertoire théâtral et entame une grève de la faim à l’issue de son évacuation en force par la police. En mai, elle catalyse la manifestation pour un Centre autonome et l’occupation de la Maison des jeunes de Saint-Gervais et se retrouve bannie de Genève par les autorités de la ville. C’est dans les causses désertiques du Larzac avec ce qu’il reste de ses membres qu’elle joue son ultime expérience communautaire avant sa dissolution. Filmé par Jean-Daniel Pollet, ce document jusqu’alors introuvable a été présenté pour la première fois à l’occasion de l’exposition Essayer, encore, rater encore, rater mieux en version restaurée.