En novembre 2018, les organisateurs de l’exposition Nous, saisonniers, saisonnières… Genève 1931–2019 lancent un appel à projet. Ils cherchent une proposition originale pour la réalisation d’une série de portraits d’ancien·ne·s saisonnier·ère·s. Je sens leur volonté de capter des témoignages authentiques avec un concept cinématographique. La transmission du parcours des saisonnier·ère·s à leurs enfants et petits-enfants est pour eux un autre point important et qui m’intéresse particulièrement. C’est en lisant le livre d’Édouard Louis Qui a tué mon père (2018) que m’est venue l’idée des Lettres ouvertes. Ce livre traite d’un sujet à la fois différent et analogue : comment la politique peut détruire le corps des hommes.
Le texte d’Édouard Louis est un monologue adressé à son père qui aurait pu prendre la forme d’une lettre. Dans les deux cas, la personne à laquelle on s’adresse est prise en otage et ne peut se défendre. Le destinataire est autant sollicité que l’auteur. Il existe une confrontation invisible entre les deux parties. Elles cohabitent le temps d’une lettre, s’aiment, s’excusent, se font des reproches, se taquinent, dévoilent des secrets…
J’ai donc basé ma proposition sur le principe de la lettre ouverte. Celle-ci est intime dans sa forme et politique par son fond. Je trouvais tous ces éléments très stimulants du point de vue réflexif et cinématographique. Avec chacun des protagonistes, nous avons eu, avant le tournage, de longues conversations sur leurs années en tant que saisonnier ou saisonnière ou en tant qu’enfant, et ce qui s’en est suivi. Puis, nous avons cherché à qui serait adressée la lettre. Chacun·e a écrit une première version et je les ai ensuite accompagné·e·s pour arriver à une version finale, en endossant un peu le rôle d’éditrice, notamment afin de surmonter pour certain·e·s la barrière de la langue et mettre en mots des événements et des émotions fortes.
J’ai été très touchée par ce qu’ils et elles révélaient de leur existence comme saisonnier ou saisonnière et plus généralement comme immigré·e·s. J’ai fait à chacun·e une proposition de lieu symbolique où lire sa lettre et qui mette en valeur des éléments clés de son expérience. Les archives personnelles ainsi que celles de la RTS sont venues compléter chaque portrait. Ils offrent la possibilité de redécouvrir autrement le destin peu connu de personnes arrivées en Suisse avec le permis A, et qui sont les acteurs et actrices de cette histoire. K.D.