Artists Rights Stories
14–19.06.2022
En 2018, s’était tenue à Forde une permanence juridique que nous avions organisée avec Lab-of-Arts, une association formée d’avocat·e·x·s spécialisé·e·x·s en droits d’auteur·trice·x·s. Sentant à l’époque que la critique ne suffisait plus pour faire avancer les problématiques que rencontraient au quotidien les acteur·trice·x·s du milieu artistique, le soutien du domaine juridique permettait d’apporter une solution concrète, de faire bouger les lignes.
Durant les consultations qui se tenaient dans le bâtiment de l’Usine, nous avions le rôle d’accueillir les personnes dans la cage d’escalier transformée en salle d’attente improvisée. Les inscriptions se faisaient sur place selon l’ordre d’arrivée. Les personnes présentes étaient ensuite reçues les unes après les autres en huis clos face aux avocat·e·x·s à l’intérieur de l’espace d’exposition de Forde. Des temps d’attente se créaient naturellement et étaient propices à la discussion. Durant ces moments, il arrivait souvent que les personnes racontaient de manière spontanée les raisons qui les amenaient à consulter, leurs préoccupations, les mauvaises rencontres sur leur chemin, l’âpreté des relations provoquée par des affaires de plagiat, d’annulation de projet, de stigmatisation ou d’exclusion. Des récits du quotidien qui traduisaient parfois la violence et la solitude au sein du milieu culturel, des zones de fragilité, des rapports de force et de pouvoir face à une autorité qui ne disait pas son nom. Battant en brèche les préjugés, les malaises, nous découvrions que les personnes qui se retrouvaient à la permanence n’étaient pas figées dans une posture plaintive, mais qu’elles prenaient à cet instant les devants sur leur situation. De leur attitude émanait une détermination personnelle qui les orientait de manière radicale vers une démarche de libération.
Confidentielle par principe, la permanence juridique se dérobait au regard et ne pouvait pas faire l’objet d’un enregistrement sonore. De la singularité de ces rencontres n’est transparu dans la sphère publique qu’un bilan sommaire composé de statistiques (« 40% droits d’auteurs, 40% conflits avec des tiers, 20% questions générales »1 ).
Dès lors comment partager la force de ces démarches personnelles dans une manifestation publique ? Comment exposer cette part refoulée et traumatique du milieu artistique, qui est éclairante à plus d’un titre sur les mutations sociales en cours, sans pour autant trahir l’intégrité et la parole des personnes impliquées ? Comment retranscrire toute la portée de ces échanges, de ces récits qui pourraient faire naître chez d’autres une volonté de rompre avec leur condition, de prendre les devants au lieu de s’accommoder de leur situation ?
Dans le cadre des SAA, il ne s’agira pas de présenter la permanence juridique. Mais bien d’exposer à la place, les récits de celles et ceux qui y ont assisté. De leur inventer une forme d’énonciation à l’usage du public apte à transmettre la singularité et l’ambiguïté de leur parcours. À partir d’un travail d’enquête, de recueils de témoignages, de conversations, de notes d’avocats, de lettres de correspondance, et avec tout ce que ces éléments impliquent en termes de caviardages et d’informations retranchées, il s’agira de restituer ces récits de soi sous une forme orale à la première personne dans un dispositif d’écoute polyphonique. En dépit des limitations juridiques que cela implique, nous souhaiterions faire surgir à travers les inflexions vocales et les anecdotes personnelles ce qui ne peut habituellement être dit en public, et qui constitue pourtant une ressource incomparable d’expression, d’émancipation mais aussi de compréhension.
Mettre sur le devant de la scène une figure fuyante par excellence permettra de transmettre les échos lointains des luttes sociales en cours pour les artistes dans l’enceinte des SAA, de rassembler une communauté qui s’ignore, de réunir les protagonistes anonymes d’une culture de combat.
Références
- Présentation du bilan de la permanence juridique qui s’est tenue à Forde par l’avocat Yaniv Benhamou lors de l’assemblée organisée par Rosa Brux et Hélène Mariéthoz au Commun : Où en sommes-nous avec le droit des artistes ? ↩