En 1968, le théâtre à Genève s’est soudain senti concerné par ce qui se passait dans le monde. Au mois d’avril, peu de temps avant les émeutes à Paris, de jeunes acteurs comme Marika Hodji, Laurence Montandon, Jane Friedrich, Armen Godel et Alain Le Coultre se groupent autour de François Rochaix et de Marcel Robert dans la Maison des jeunes de St-Gervais pour y monter le Chant du fantoche lusitanien de Peter Weiss. « Un théâtre des faits » qui dénonce le colonialisme portugais en Angola. La pièce retrace l’histoire de la colonisation du pays jusqu’au début des années 60, date à laquelle ont lieu les premières rébellions qui sont encore en cours au moment de la représentation.

S’inscrivant dans le courant du théâtre documentaire, la pièce de Peter Weiss transpose dans une nouvelle forme d’énonciation des documents (articles, discours, témoignages…) habituellement véhiculés par les médias en éraflant au passage leur prétendue objectivité. Ainsi, Weiss n’hésite pas à livrer les noms des entreprises qui investissent en Angola et qui participent au fonctionnement du système colonialiste.

Afin de prouver que le texte de la pièce s’appuie bien sur des documents réels, une brochure mentionnant les références est distribuée par la troupe avant le spectacle. Dans la note d’intention, elle compare les premiers articles de la Déclaration des droits de l’humain avec les conditions réelles décrites par les Africain·e·s noir·e·s en Angola. Ce procédé de comparaison jalonne tristement l’histoire des sociétés capitalistes qui revendiquent, dans les textes, des idéaux égalitaires tout en exploitant, dans les faits, une frange toujours plus grande de la population.

Comme le mentionne Anne-Catherine Sutermeister, « même si le sujet est à la fois actuel et bien réel, que faire pour que les spectateur·rice·s se sentent concerné·e·s ? Comment transposer la pièce dans un cadre suisse, sans pour autant adapter le texte ? La solution leur vient en assistant au Morgenstreich du Carnaval de Bâle : la comédie politique de Weiss se jouera dans le cadre d’une fête patriotique suisse : des manifestant·e·s arrivent, interrompent la fête et improvisent un happening sur le colonialisme portugais en Angola, la pièce de Weiss précisément. D’abord le happening justifie l’aspect improvisé et bricolé du spectacle, il permet aux acteur·rice·s de jouer la pièce au premier degré, avec l’énergie et la conviction propres aux jeunes militant·e·s qu’ils sont alors. »1

Références

  1. Anne-Catherine Sutermeister, Genève 1968 : deux spectacles en prise sur l’actualité, in Enquêtes sur le théâtre. Dix contributions à l’histoire du théâtre en Suisse, 1995, p. 390.